La cohérence est, selon moi, une des valeurs émotionnelles fondamentales de l’homme, qui lui permet de pouvoir se regarder dans une glace et de regarder son prochain sans ombre cachée. Au travail, l’enjeu de sa préservation est encore plus fort compte tenu de l’incertitude inhérente au monde impitoyable de l’entreprise. Si cet alignement avec ses valeurs profondes n’est pas sauvegardé, c’est le risque d’un écroulement assuré du salarié du fait de la perte de sens qu’il engendre. La personne ne sait plus pourquoi elle agit et se laisse emporter par le tourbillon des décisions et des consignes qui lui tombent dessus, sans être en capacité de s’accrocher au mât de sa cohérence intérieure.
Mais qu’est-ce que signifie finalement être cohérent et authentique ?
La cohérence à soi, c’est un engagement de fidélité que l’on se fait à nous-même, qui favorise l’alignement de tout notre être entre ce que l’on pense, ce que l’on dit et ce que l’on fait. C’est donc un contrat d’authenticité à 360° avec soi et les autres. Le philosophe Michel TERESTCHENCKO, dans son ouvrage Un si fragile vernis d’humanité, écrit à ce sujet : « ne pas renier ses premiers engagements, sans quoi comment notre âme et notre cœur pourraient-il ne pas être dévorés d’amertume et de ressentiment« . Car, en effet, accepter de faire des concessions à ses principes fondamentaux, mettre un coup de cutter à sa chaîne de valeurs, plonge sans nul doute dans une culpabilité certaine à moyen et long terme. Apparaît une dissonance cognitive entre notre for intérieur et nos agissements.
Bien se connaître est déterminant pour rester en contact avec sa cohérence intérieure
Sénèque disait : il n’y a pas de vent favorable pour celui qui ne connaît pas son port. Comment savoir où aller et comment si nous ne savons effectivement pas d’où l’on vient et ce qui fait sens pour nous. Nous l’avons vu La psychologie positive peut nous aider à trouver ce qui nous motive dans la vie grâce à la découverte de nos forces de caractères dominantes. C’est un fil rouge qui nous permet de comprendre les discordances que l’on peut rencontrer parfois et qui se traduisent pas un mal-être pas toujours explicable. Par exemple, si vos valeurs fondamentales sont la créativité, la curiosité, l’ouverture d’esprit, et que vous occupez un poste assez rébarbatif requérant des tâches répétitives et peu enclines au développement de votre originalité, il y a fort à parier que vous ressentirez une incohérence, souvent d’abord dans le corps, puis dans la tête, quand il vous sera demandé de faire des choses dénuées de sens pour vous.
Comment être sûr d’être fidèle à soi ?
Chacun de nous procède d’un fonctionnement à 3 niveaux qui, alignés, constituent notre cohérence personnelle. Celle-ci est revisitée à chaque décision, à chaque action de notre part, en passant au scanner de nos valeurs.
1er niveau : le fonctionnement « tête » qui est l’étage de la réflexion, de la pensée, de la créativité, de la curiosité
2ème niveau : le fonctionnement « cœur », étage des émotions, des sentiments et de la relation créée avec l’autre
3ème niveau : le fonctionnement « corps », étage de notre énergie corporelle, de notre sens de l’action et de la réaction
Etre authentique, c’est donc bien mettre en résonnance ces 3 niveaux sans que l’un d’eux se trouve oublié ou disqualifié volontairement ou inconsciemment. Je vous donne un exemple :
Vous êtes commercial et il vous est demandé par votre supérieur, dans le cadre de la campagne de vente d’un produit, de faire signer un contrat à un couple de personnes âgées alors même que vous ne l’avez pas encore invité à venir vous rencontrer. La mise en action des 3 niveaux pourrait être la suivante selon que l’authenticité de vos décisions est convoquée ou non :
– je dois respecter les consignes qui me sont données d’autant que nous sommes en campagne et qu’il en va de ma future promotion que j’attends depuis 2 ans
– c’est vrai que je ne connais pas encore ce couple mais ce n’est qu’une question de temps et, si je ne fais pas tout à fait les choses dans l’ordre, il n’y a pas mort d’homme
– je vais devoir juste leur expliquer oralement quand je les verrai, et même me justifier, d’avoir souscrit un contrat à leur insu, mais il leur est favorable et c’est pour leur bien
Le souci de ce comportement est que l’incohérence sera rapidement palpable notamment au 3ème niveau, celui du corps, car, le jour J, il sera compliqué de conserver cet alignement supposé en face-à-face avec le couple. Des symptômes physiques apparaîtront (sueurs, mains moites ou qui tremblent) et l’énergie ne sera pas au rendez-vous. S’agissant des émotions, il y aura très certainement une culpabilité naissante avant, lors et/ou pendant l’entretien. Cette émotion et ces symptômes peuvent parfaitement être ignorés et l’événement se déroulera sans encombres. Tout est une question de vérité que l’on se dit à soi et celle que l’on dédie aux autres.
Il faut donc être bien certain à quoi l’on veut rester fidèle car la vérité vis-à-vis de soi est notre authenticité profonde, celle qui ne ment pas, mais il peut vite être possible de l’ensevelir et de ne plus y prêter attention sur l’autel des conventions et du masque-social épais que l’on arbore. « Mais de graves problèmes surgissent si l’on ne se rend pas compte que ce masque existe, le risque est alors très grand de ne plus faire la différence entre notre rôle social et notre véritable personnalité. » Daniel Cordonnier, dans Le pouvoir du miroir. C’est ce qui explique des décisions aberrantes parfois que l’on ne comprend pas de la part d’un collaborateur ou d’un supérieur. Soit il est en cohérence avec sa propre ligne directrice, soit il est en flagrant délit d’infidélité à lui-même. C’est la chaîne de ses décisions suivantes qui permettra de savoir dans quelle catégorie il se trouve. Si ses actes suivent un tracé en dents-de-scie, il y a de fortes chances qu’il soit dans l’incohérence la plus totale. Tantôt il prône le télétravail par exemple en achetant quantités de PC pour l’équipe parce que c’est dans l’air du temps et que ce sera bien vu, tantôt il réfrène les ardeurs des uns et des autres lorsqu’ils sollicitent un planning clair de présentiel/distanciel parce qu’au fond de lui il est contre cette nouvelle modalité de travail. Il y a bien quelque chose qui sonne faux.
Il faut choisir entre jouer la comédie sociale ou être vrai afin de se regarder soi-même dans les yeux. Comme le dit Alexandre JOLLIEN, « à la longue, cette comédie peut user, miner. Si, du matin au soir, nous enfilons un costard pour faire le beau, comment ne pas finir complètement vidés ? » A nous de ne pas nous perdre et de respecter nos valeurs malgré les insistances de notre environnement et les tentations de répondre aux attentes et de ne pas décevoir.