La pleine conscience n’est pas uniquement l’apanage des méditants et d’une pratique formelle d’observation de ses pensées durant quelques minutes, assis, dans un endroit calme. Cette approche a déjà fait l’objet d’un article de ma part et je vous invite à vous y référer si vous le souhaitez. Ce réflexe méditation est à envisager, idéalement, en complément de ce que je vais vous exposer aujourd’hui, qui se rapproche davantage d’une pratique informelle de la pleine conscience, à intégrer totalement dans son quotidien personnelle et professionnelle.
En quoi consiste exactement la pratique de la pleine conscience en entreprise ?
Christophe ANDRE définit la pleine conscience comme « une qualité de conscience qui émerge lorsque l’on tourne intentionnellement son esprit vers le moment présent, sans filtre, sans jugement, sans attente (on ne recherche rien)« . On y trouve donc des composantes (compétences) particulièrement sollicitées en entreprise : l’ouverture d’esprit, l’esprit du débutant (regard nouveau sur toute chose), la capacité à être présent (écoute de soi et des autres), le non-jugement (rejet du contrôle systématique des événements et des personnes). On y retrouve, en partie, les 7 piliers de la pleine conscience, au sens où Jon KABAT-ZINN, professeur émérite américain, les a développées dans son ouvrage Au cœur de la tourmente, la pleine conscience. Il considère, lui, en effet, que nous pouvons entrer en pleine conscience dès lors que nous portons délibérément notre attention sur nos expériences internes (sensations, émotions, pensées) ou externes de l’instant présent, sans porter de jugement de valeur. L’application en entreprise nécessite par conséquent les comportements suivants :
- le non-jugement : c’est observer de façon impartiale ce qui arrive devant nous comme les pensées et les jugements automatiques permanents qui nous traversent ;
- la patience : c’est accepter que le changement de nos habitudes prenne un certain temps. Je vous renvoie à mon article sur ce sujet et sur les occasions quotidiennes qui se présentent d’exercer cette qualité émotionnelle au travail pour éviter de céder aux tentations d’énervement et de réactions colériques ;
- l’esprit du débutant : c’est considérer nos représentations mentales et expériences comme si elles se produisaient pour la 1ère fois, sans aucun filtre. Nous avons vu que cette capacité au non-attachement des choses permet de reprendre notre autonomie et notre libre-arbitre et d’agir avec plus de discernement et de modestie ;
- la confiance en soi est, elle, cette croyance en nos ressources internes pour faire face à toutes les situations. Elle résulte toujours de l’accumulation d’événements passées. C’est pourquoi, comme j’ai eu l’occasion de vous le dire, elle suppose de multiplier les expériences ;
- le non-effort : c’est la recherche d’aucun but particulier, dans le sens d’aucune performance. C’est certainement la qualité de pleine conscience la plus difficile à atteindre dans le cadre professionnel, vu que c’est précisément celui au sein duquel des résultats sont sans cesse demandés et où le dépassement de soi est bien vu. Pourtant, c’est une invitation à s’alléger du poids du regard des autres et de l’aspiration à faire bien et, si possible, mieux que les autres
- l’acceptation au travail est une autre qualité essentielle qui pourrait même être la principale étant donné qu’elle signifie l’accueil de tout ce qui a lieu, en nous et à l’extérieur de nous. C’est le complément des autres déjà citées. C’est le parfait opposé du contrôle et du calcul, ce qui nécessite une acceptation des surprises que la journée est susceptible de nous proposer. Elle s’accompagne du dernier et 7ème pilier ;
- le lâcher prise est, enfin, la dernière attitude recommandée pour travailler selon les préceptes de la pleine conscience. Une nouvelle fois, c’est un pilier déjà précédemment exploré et qui requiert de notre part une réelle prise de conscience du dénuement des pensées qui nous est demandé
Comment parvenir à une pratique effective de la pleine conscience ?
Justement, il me semble primordial, à ce stade, de connaître le cycle des pensées et des émotions pour ne pas se faire duper et comprendre plus facilement ce qui se joue en nous à chaque situation qui se présente.
Imaginez que vous venez d’être convoqué par votre supérieur et que vous ne savez pas vraiment pourquoi. L’entretien a lieu dans 48h. Que se passe-t-il en vous ? Le schéma suivant est le même pour nous tous :
1. SITUATION. La situation est objective. Elle est la même pour tous à cet instant. C’est un événement clair et précis : une convocation par son supérieur
2. PENSEES. Pourtant, nous allons de suite l’interpréter en activant notre dialogue intérieur automatique et la petite voix critique et moralisatrice. Ce sont nos pensées et nos croyances limitantes qui prennent le dessus : « ce n’est pas bon, pourquoi suis-je convoquer ? Qu’ai-je fait ? Est-ce en lien avec mon altercation d’hier avec mon collègue en réunion ? Peut-être qu’il va en profiter pour me virer vu que l’entreprise est en pleine restructuration ? » Etc.
3. EMOTIONS. Notre petit vélo intérieur vient aussitôt colorer l’événement d’une émotion spécifique et personnelle. Ici, ce sera probablement la surprise, l’inquiétude ou l’anxiété.
4. SENSATIONS. Cette émotion ressentie va immanquablement engendrer des sensations corporelles comme un cœur qui bat plus fort, de la sueur, le ventre qui se serre ou toute autre réaction que nous connaissons bien puisque ce sont nos propres signaux du stress qui apparaissent à chaque fois et qui n’évoluent pas beaucoup chez tout être humain.
5. COMPORTEMENT. Nous allons alors adapter notre comportement en fonction de ces éléments psychiques et physiques. C’est notre réponse individuelle qui n’appartient qu’à nous. Ce pourra être par exemple d’aller voir le supérieur, sans attendre, pour lui demander calmement, ou pas, la raison de cette convocation, ou encore, à l’inverse, la sidération et la peur de demander avant le rendez-vous, ce qui occasionnera la démultiplication des ruminations pendant les 48h.
Une pratique professionnelle de la pleine conscience sera, ici, un réel soutien pour ne pas laisser ce cycle « infernal » se mettre en action de façon automatique. Elle favorisera la prise de recul immédiate dès la convocation reçue avec une attitude non jugeante et une confiance en soi et en ses capacités pour vivre le rendez-vous de manière sereine, sans extrapolation de son contenu. C’est accepter cette convocation comme une occasion, dans le cas où la dispute et les mots échangés de la veille en réunion en sont la raison, de revenir sur cet événement pour donner son point de vue et défendre sa position. Voilà déjà plusieurs piliers mis à contribution.
Le but de cet exercice est de réaliser comment nous pouvons changer notre façon de vivre les expériences par la simple conscience de l’impact de nos pensées sur nos émotions puis sur nos actions. Il suffit d’avoir une nouvelle lecture séquencée des événements en les passant au scanner de la pleine conscience. Il m’arrive cela. Cela génère en moi des pensées et des émotions désagréables. Je relis la situation en égrenant un par un les 7 piliers de sorte à ne pas me laisser envahir et réagir au quart de tour. Essayez, vous allez voir cela change tout ! Et faites-moi vos retours en commentaires sur votre ressenti et votre feed-back.