Je vous propose, tout d’abord, de nous mettre d’accord sur la définition d’un conflit au travail car on entend un peu trop facilement, à mon goût, parler de ce terme. Un conflit se caractérise par une divergence, un antagonisme entre deux personnes visant à obtenir la même chose. Il ne naît donc que si une relation existe entre deux individus. S’ils n’ont pas un intérêt commun mis en jeu dans cette relation, il n’y aura pas de conflit. Ce point fondamental d’échange, voire d’interdépendance, est l’élément essentiel dans le conflit car les deux protagonistes ont finalement un besoin réciproque d’apaiser leur interaction donc doivent, d’une manière ou d’une autre, trouver un terrain d’entente.
La gestion des conflits possède de toute évidence un aspect relationnel et émotionnel incontestable. Et, en prendre conscience est déjà un grand pas vers leur résolution car l’angle d’approche ne sera pas le même que celui qui, parfois, est conseillé dans les formations dédiées à cette problématique.
Que signifie clairement la gestion émotionnelle des conflits professionnels ?
Je vous ai déjà parlé des différents types de besoins qui se cachent derrière une émotion, dans un autre article, sur comment s’aider de ses émotions pour communiquer au travail. Nous pouvons les résumer en 3 besoins fondamentaux : le besoin d’inclusion (de relations sociales), de contrôle et d’affection. La divergence, cause du conflit, entre définitivement dans la recherche d’un de ces besoins pour chacun des individus concernés. Le résultat en est le contrôle sur l’autre, une volonté d’imposer sa vision et de dominer, avec de l’agressivité dans l’air. Mais, la sidération peut également faire partie des réactions lorsque l’une des parties ne trouve pas les ressources personnelles pour sortir du conflit. La colère, la frustration, la tristesse, la surprise sont les émotions fréquemment manifestées. C’est pourquoi, dans les années 80, Willem Doise, des sciences sociales, a proposé une approche multidimensionnelle pour expliquer les comportements humains comprenant quatre niveaux. Cette approche est une des grilles de lecture pour mieux comprendre les obstacles à la communication en entreprise. La bonne nouvelle, c’est que c’est aussi une vision des conflits favorisant leur résolution, pour peu que l’on découvre et comprenne le niveau impliqué.
1/ Le niveau intra-individuel concerne les caractéristiques d’un individu et son vécu personnel. La trajectoire d’une personne au sein de l’entreprise, sa motivation, ses capacités d’adaptation, ses traits de caractère, sa personnalité… peuvent constituer des freins ou au contraire des atouts pour bien vivre ses relations avec son entourage professionnel. Si le salarié entre en conflit à ce niveau, il y a de fortes chances que son estime de lui soit mise en cause et que la peur de sa remise en cause le taraude. Il se sent mis en danger dans son égo et dans le sens qu’il donne à sa mission au travail. Ce peut être le cas d’un conflit de valeurs entre le supérieur et son collaborateur, le second n’acceptant pas de faire ce que le manager lui assigne de réaliser car il se trouve dans un antagonisme interne. Si l’on prend la métaphore du bateau qui navigue, le sens du voyage lui-même n’est pas compris de la même manière. Chaque membre n’est pas monté sur le bateau pour la même raison. Le conflit naît de cet antagonisme.
2/ Le niveau inter-individuel fait référence aux relations qu’entretiennent les individus et leurs interactions. La qualité des échanges au sein d’une équipe s’avère être une condition nécessaire pour l’équilibre de l’entreprise. Des membres d’une équipe en conflit peuvent fragiliser davantage le collectif. Ce sont ici des conflits d’objectifs, de perspective et d’horizon qui sont en jeu. C’est un problème de cap divergent que chacun veut donner au bateau de l’entreprise. Il est important de retrouver une direction commune pour agir en concertation et parler d’une seule voix face aux clients.
3/ Le niveau positionnel s’intéresse à l’insertion des individus dans des rôles, des statuts ou des positions. Les porteurs d’un projet peuvent souhaiter modifier les hiérarchies formelles qui figurent au sein d’un organigramme. Les hiérarchies implicites ne doivent pas être négligées non plus, les rôles hors-hiérarchie que chacun joue dans la structure. Dans ce contexte, le conflit est lié à un manque de compréhension du « travailler ensemble », du qui fait quoi. Les tensions s’agissant de la constitution des fiches de poste, du rôle dévolu à chacun sont au cœur de ce niveau. Sur le bateau, les membres de l’équipage ne comprennent pas de la même façon leur contribution à la navigation. Il savent, en revanche, ce qu’ils peuvent apporter au collectif mais ne s’entendent pas sur la répartition des rôles.
4/ Le niveau idéologique regroupe les représentations qu’ont les salariés de leur secteur d’activité, de leur entreprise, de leur métier et de leur fonction. Un projet peut bouleverser les représentations existantes et le conflit provient de cette divergence de vision idéologique. Le rejet peut même en être la conséquence brutale avec une remise en cause de l’ensemble des principes sur lesquels il s’appuie. Il y a manifestement un refus de monter sur le bateau pour l’un des membres de l’équipage. C’est le niveau conflictuel le plus profond et enkysté que l’on puisse connaître au travail car il n’accepte aucune géométrie variable et ne souffre d’aucune souplesse.
Comment donc résoudre ces conflits selon une prise en compte émotionnelle des intérêts réciproques ?
Prenons un exemple concret analysé par Stimulus Conseil. Un conflit entre un manager et son équipe déclenché par la modification des modalités d’accueil du public et l’arrivée d’un nouveau produit à commercialiser auprès de lui.
1. Le manager expliquait le conflit de la façon suivante : l’ambiance dans cette équipe a toujours été mauvaise, les salariés ne sont plus du tout motivés, ils sont nostalgiques, ils refusent le changement par principe et ne veulent pas se remettre en cause.
2. L’équipe expliquait le conflit d’une tout autre façon : la direction ne prend jamais en compte notre avis, le management n’est pas suffisamment humain, beaucoup de mépris est manifesté à notre égard, ce changement en est une preuve supplémentaire.
Manager et équipe privilégiaient les deux 1ers niveaux d’explication, au 1er abord, ce qui avait pour effets de renforcer l’antagonisme des positions et de figer le conflit. Toutefois, les freins s’inscrivaient aussi dans les deux autres niveaux d’explication « positionnel » et « idéologique».
– Tout d’abord, la modification des modalités d’accueil conduisait à répartir différemment les effectifs, faisant ainsi craindre à certaines personnes spécialisées sur un type de produit de ne plus être reconnues pour leur expertise. Une remise en cause implicite de leur positionnement dans le service était clairement une interprétation, selon elles, de la réorganisation voulue par le manager.
– Ensuite, l’introduction du nouveau produit à promouvoir symbolisait un point de non-retour dans l’évolution de la fonction. Celle-ci tendait à être de plus en plus assimilée à celle d’un commercial. Cette modification remettait profondément en cause le sens du métier, d’autant plus que ces salariés avaient une représentation très négative du métier de commercial. Le message véhiculé était délibérément un changement conceptuel de l’entreprise, ce qui ne correspondait pas du tout à ce que l’équipe envisageait de son futur professionnel en son sein.
Ces deux derniers niveaux d’explication offrent davantage de perspectives à une issue favorable au conflit. En effet, il paraît bien plus aisé de prévoir des mesures d’accompagnement pour préserver les expertises et donner à chacun un rôle valorisant dans l’organisation, plutôt que d’attendre du changement qu’il améliore les relations au sein d’un collectif. Il paraît également plus facile de communiquer sur les impacts du changement en résonnance avec le sens que les salariés accordent à leur métier (écoutes les peurs et rassurer), plutôt que d’espérer que la mise en place fréquente de projets de transformation permette aux salariés de développer une appétence pour le changement. Il est donc important de concentrer les efforts sur ces deux derniers niveaux d’explication parce que les capacités d’action managériale y sont plus atteignables et nombreuses.
La conclusion est donc qu’une écoute attentive des logiques individuelles ou collectives d’un conflit, et, par voie de conséquence, des besoins sous-jacents, est primordiale pour espérer sa résolution dans le respect des émotions manifestées par les uns et les autres. On ne résout pas tout par de l’organisation, de la RH ou des moyens matériels. La prise en compte émotionnelle des interactions est PRIMORDIALLE et SALUTAIRE.
Tu décris parfaitement une situation où face un changement, le manager y ressent de la résistance et l’équipe la réticence face à un changement. C’est du vécu. Ce n’est pas évident de désamorcer tout cela. Il faut arriver à trouver un juste équilibre entre tous ces niveaux. En tout cas, je comprends mieux ce qui se passe lorsque j’assiste à des réunions et qu’il y a une jouté qui s’installe entre la direction et les équipes. Personnellement, j’accueille souvent positivement tout changement afin de savoir ce que je suis encore capable de réaliser 😉