Parmi les piliers de la pleine conscience avec lesquels j’ai coutume de faire des associations dans le monde professionnel, se trouve celui du non-jugement. Nous avons déjà identifié l’intérêt du developpement-de-son-lacher-prise, comment ameliorer-sa-confiance-en-soi et lacceptation-au-travail-quesaco., puis de la-patience-versus-la-colere. S’il y en a bien un difficile à mettre en place au sein de l’entreprise, mais je dirai même dans notre vie, c’est bien celui du non-jugement qui nous invite à nous poser un instant sur toutes les pensées peu avenantes qui traversent notre esprit en une seule journée. Ces pensées critiques se retournent non seulement contre les autres mais aussi contre nous car finalement les unes comme les autres sont néfastes pour notre organisme et procèdent à l’épuisement que l’on peut ressentir au retour à la maison, le soir. La méditation est évidemment un 1er outil que je vous recommande. Sur ce sujet, vous trouverez une guidance sur le non-jugement sur ma chaîne youtube Emotions-et-Solutions.
Il est tout d’abord nécessaire de reconnaître, avec humilité, que notre esprit juge en permanence ce qui se passe. Il classe tout ce qui entre en contact avec lui comme bon ou mauvais en fonction de ce que nous ressentons. Cet état de fait rend difficile voire même impossible la recherche de la sérénité. Et, pourtant, il suffirait (même si ce n’est pas si simple j’en conviens) de se rendre compte de cette activité de jugement chaque fois qu’elle se présente à nous afin de s’en détacher. Pour ce faire, la simple observation de la pensée est la meilleure méthode puisque cela favorise une suspension temporaire du jugement qui surgit. C’est l’épochè dont nous avons déjà parlé dans la-patience-versus-la-colere et qui nous vient de Montaigne. Avec cet arrêt sur image, ce sont aussi nos sensations corporelles qui sont à écouter. Et, il est à parier qu’elles sont caractérisées par des tensions et de l’excitation palpables.
Ce sont nos pièges mentaux qui s’en donnent à cœur joie lorsque nous cédons à un jugement. En effet, le 1er de ces pièges qui se referme sur nous est celui de la généralisation. Notre cerveau a alors tendance à prendre des raccourcis et à faire venir à notre esprit des stéréotypes venant de nos schémas mentaux appris et de notre passé. Nous faisons alors des conclusions rapides provenant majoritairement de nos expériences et des convictions forgées à ces occasions. Ces raccourcis sont rassurants pour nous finalement car nous restons dans un monde familier et il n’est pas utile alors d’aller creuser plus loin. Il se revit exactement ce que nous savons déjà selon des critères stéréotypés bien clairs. Tout est OK. Le cerveau est en terrain connu et fait ce qu’il sait le mieux faire : nous protéger en nous envoyant des solutions toutes faites en pilote automatique…
Un exemple ? Vous êtes manager et vous avez, dans votre équipe, 2 collaborateurs qui ne s’entendent pas. Le conflit est ouvert entre eux et semble ne pas directement concerner le travail, mais plutôt un différend d’ordre privé. Vous avez, dans d’autres fonctions, déjà eu à gérer ce type de situation et vous aviez décidé de ne pas intervenir tout de suite partant du principe, à l’époque, que chacun est responsable et doit régler ses discordes. Or, cette attente a eu des répercussions assez catastrophiques car votre non-action a envenimé les choses et a rejailli sur le reste de l’équipe et le travail fourni en général. Aujourd’hui, face à un conflit similaire, vous avez tendance à juger les protagonistes en imaginant un scenario catastrophe identique. Vous êtes remonté(e) avant même de connaître les tenants et les aboutissants dans cette nouvelle affaire. Or, l’attitude de non-jugement requiert que vous analysiez la situation avec les paramètres actuels sans généralisation et remontée anxiogène de l’expérience déjà vécue. Ce ne sont pas les mêmes personnes, le même lieu, la même époque, les mêmes enjeux. Sortir des œillères de la répétition en observant la situation comme elle se présente, sans anticipation, est bien plus constructif et même proactif.
Vous connaissez la parabole des 3 tamis qui nous vient des préceptes de Socrate ? Elle illustre à merveille le réflexe naturel au jugement et comment y faire front. Face à la remarque d’un homme qui vient lui faire le retour du comportement de son ami, Socrate lui demande si son jugement est passé au crible des 3 tamis.
- Le 1er est celui de la vérité : « As-tu, lui dit-il, vérifié que ta remarque est vraie ? » L’homme lui avoue qu’il l’a seulement entendu dire.
- Le 2ème est celui de la bonté : « Comptes-tu, continue Socrate, me faire part d’une remarque emprunte de gentillesse à propos de mon ami ? » L’homme regrette et lui dit que non
- Le 3ème tamis est celui de l’utilité : Ta remarque me sera-t-elle utile ? » La réponse est encore négative.
Socrate lui dit alors : « Si ce que tu as à me dire n’est ni vrai, ni bon, ni utile, je préfère ne pas le savoir, et quant à toi, je te conseille de l’oublier ».
C’est la parfaite illustration du penchant vers lequel il est important de ne pas glisser. Observer le pilote automatique qui se met en action systématiquement face à une pensée jugeante comme une abeille qui viendrait près de nous, attirée par le goût du sucre. Rien ne sert de la chasser énergiquement, cela n’aura que le seul effet de l’exciter et de la rendre agressive. C’est exactement pareil avec un jugement qui pointe son nez. Etre dans la réaction immédiate n’est pas efficace. Cela exacerbera nos sentiments défavorables en agitant nos émotions fortes. La réponse proactive est la plus responsable en privilégiant l’analyse de la situation sur les seuls critères du moment, sans convocation du passé ni anticipation d’un futur non encore écrit. Votre corps se détendra par la même occasion et vous respirerez mieux.
Je prends un autre exemple. Votre supérieur n’est décidément pas poli et, d’après vous, ne connaît pas les bases de la communication puisqu’il ne sait pas dire bonjour le matin, au revoir le soir, et sourire et remercier dans la journée. Et, ce n’est que la partie émergée de l’iceberg. Vous avez malheureusement déjà connu cela précédemment et cela vous met hors de vous. Vous retombez encore face à ce type de hiérarchique peu enclin à l’échange et au respect des conventions usuelles. Il est alors facile de généraliser et de vous mettre dans une posture de confrontation en partant du principe qu’il le fait exprès, qu’il ne respecte pas ses collaborateurs etc.
Or, la posture émotionnelle apprise aujourd’hui est bien d’observer, d’analyser la situation selon les critères d’aujourd’hui et pas d’hier, et, dans ce cas, d’exprimer votre désarroi avec calme et attention, sans extrapoler par un jugement hâtif. Et, vous verrez, les choses seront différentes de celles que vous vous racontiez dans votre dialogue intérieur. En tout cas, cela aura été dit à l’autre et vous ne serez pas tombé(e) dans le travers de la rumination passive, terrain propice au jugement qui mine et fatigue.